Destination : 189 , Enfin des réponses !


Autan, en emporte le Vent

En Gascogne, les anciens disent de ce vent qu’il est le vent du diable. Que son souffle capricieux rend fou, qu’il ensorcelle les animaux, fait pleurer les enfants, tourner la tête des femmes et éclater le cœur des hommes. Tout cela est réel, et rares sont ceux qui en connaissent la raison…

Car la vérité, c’est que le vent d’Autan est amoureux… Et comme tous les amoureux au tempérament ardent, il est tantôt caressant par la douceur d’une brise légère, tantôt jaloux et explosant en rafales d’une violente tempête. Mais laissez-moi vous conter cette histoire, venue du fond des âges, dans laquelle vous découvrirez au passage les origines du peuple gascon…



C’est un récit très ancien, qui commence dans le sud de la France, non loin de la ville que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Toulouse, et qui n’était alors qu’un tout petit village. C’est l’histoire d’un jeune garçon, orphelin, qui avait été recueilli par un vieux pêcheur qui lui avait enseigné son métier avant de mourir. Le garçon, y avait gagné le surnom de Marin, sillonnant depuis son plus jeune âge les rivières de Gascogne pour pêcher le poisson qu’il vendait ensuite au marché.



Ce jour-là, une vieille femme qui lui avait acheté la presque totalité de son étal lui demanda d’amener les poissons jusqu’à son village, situé vers le sud, à plusieurs jours de marche, dans les contreforts pyrénéens. Suivant les indications de la vieille, il longea le chemin tracé par le fleuve qui traversait la ville, et le mènerait jusqu’à destination. C’était la première fois que le jeune homme, pourtant âgé d’une vingtaine d’années, découvrait le monde de ceux de la montagne et ce paysage fort différent de celui dans lequel il avait grandi. Point de parcelles de terres cultivées, mais des collines et des vallées verdoyantes sur lesquelles pâturaient les troupeaux ; point de fleuves larges et opulents mais de petits torrents d’eau claire qui cascadaient des sommets enneigés ; point d’habitation de briques et de tuiles roses, mais des petites maisons de pierre aux toits d’ardoise bleue desquelles s’échappaient les rires des enfants et les chants des femmes.



Enchanté par ce qu’il voyait, Marin s’assit au bord d’un torrent qui caracolait sur de larges pierres, curieux de connaître les espèces de poisson qui peuplaient cette eau glaciale. Il resta là plusieurs heures, et se décida à rentrer lorsqu’il vit le soleil s’abaisser sur l’horizon. Se levant brusquement, il fit malencontreusement tomber un galet dans l’eau.

Mal lui en pris ! En Gascogne, chacun sait qu’il ne faut jamais jeter un caillou dans les rivières, surtout à la tombée de la nuit ! En effet, à peine sa pierre eut-elle heurtée la surface qu’aussitôt le ciel s’assombrit et que la silhouette étrange d’un homme, faite de brume et de gouttes d’eau, s’éleva en criant d’une voix de tonnerre : « Qui ose me déranger ? ». Apercevant le jeune homme pétrifié, il se mit à rire et, augmentant sa taille, s’apprêtait à l’engloutir dans une vague géante quand la voix du garçon l’arrêta : « Pitié, monsieur. Je ne savais pas, mais épargnez moi ! Je ferai ce que vous voudrez, mais laissez-moi la vie sauve, je vous en supplie ! ». L’homme s’arrêta, puis il réfléchit un instant avant de reprendre la parole : « Et bien soit, jeune homme. Je te laisse la vie sauve, mais, en échange, tu dois me rendre un service. Vois-tu, je suis le Roi des Eaux de cette terre. Et il se trouve que j’ai deux filles dont l’une, la cadette, m’a convaincu il y a un an de la laisser visiter votre monde. Par une nuit de pleine lune, à cet endroit précis où nous nous trouvons, j’ai formulé les incantations pour lui donner forme humaine et je l’ai laissée partir, en lui recommandant d’être prudente. Mais elle a été capturée par un homme malfaisant qui la tient enfermée en un lieu secret que mes eaux ne peuvent atteindre, pour obtenir d’elle les pouvoirs de notre peuple. Il ne me reste qu’une lune pour que je puisse lui rendre son apparence originelle car, passé ce délai, elle gardera pour toujours sa forme humaine et je l’aurai perdue à jamais. Je te demande donc de la retrouver et de me la ramener. Je te donne rendez-vous ici même, dans un mois. Si ma fille est avec toi, tu repartiras libre. Sinon… ».



Sur ces paroles, le Roi des Eaux s’effondra sur lui-même, en une formidable éclaboussure qui gicla jusqu’à un kilomètre. Marin était trempé et quelque peu sonné, il faut le reconnaitre. Mais c’était un garçon courageux et déterminé et il partit sans attendre le jour, profitant de la clarté de la lune qui se reflétait dans l’eau transparente, en un sillage d’argent qui semblait lui montrer la voie.



Tout en marchant, il réfléchissait : il n’aurait jamais assez de temps pour pouvoir battre la montagne à sa guise, à la recherche de la belle prisonnière. C’est alors que Marin eut une idée… Cette demoiselle, il fallait bien qu’elle se nourrisse. Et que pouvait manger un génie aquatique, si ce n’est ce qu’on trouve dans l’eau ? Il se rappela cette étrange vieille femme qui était venu lui acheter la presque totalité de sa pêche, soi-disant pour son maître dont elle avait dit qu’il raffolait non seulement de la chair de poisson mais aussi (et cela l’avait surpris mais bon, les riches ont parfois de drôles de lubies) de végétaux aquatiques. En y repensant, il trouvait cela étrange et décida de retrouver la vieille.



Il revint donc sur ses pas, dans le village où il avait retrouvé la vieille et s’enquit auprès d’un brave berger de l’identité de son maître. Le montagnard, sembla inquiet mais lui indiqua cependant une route sinueuse, qui montait vers les cols de haute montagne, au bout de laquelle il trouverait celui qu’il cherchait. Le soir-même, il arriva devant un petit château fortifié et, jouant le tout pour le tout, Marin demanda à parler au seigneur des lieux. Il lui expliqua être le pêcheur qui avait livré la précédente marchandise et lui proposa de se mettre à son unique service pour lui fournir, chaque jour, une marchandise fraîche et fournie. Le seigneur accepta et offrit une barque au jeune homme, en échange du gite et du couvert.



Chaque nuit, le jeune homme partait sur les torrents et rivière des environs et, chaque matin, il ramenait une pêche luxuriante qui faisait le bonheur du seigneur. Il profitait ensuite de sa journée pour visiter le domaine, et chercher, sans en avoir l’air, l’endroit où se trouvait la jeune femme. Les jours passèrent et ce n’est qu’à la nouvelle lune, qu’il découvrit la prisonnière, car profitant de la nuit noire, elle était autorisée à sortir de sa prison seulement ces nuits-là. Le reste du temps, elle était enfermée dans une grotte profonde, gardée par un formidable taureau qui faisait la taille et le poids de deux bêtes réunies.



Après quelques jours de recherche, Marin se rendit compte que la caverne possédait une autre issue et réussit ainsi à délivrer la belle sans que son gardien ne s’en aperçoive. Dès qu’ils se virent, les deux jeunes gens tombèrent éperdument amoureux l’un de l’autre. Ils décidèrent de s’enfuir pour se cacher et empêcher que la jeune fille, prénommée Garunina, ne redevienne un esprit aquatique.



Malheureusement, le Roi des Eaux, alerté par les hurlements du taureau et de son maître furieux découvrit les fugitifs et se mit dans une colère monumentale, qui secoua le pays tout entier. Pour punir les amoureux de lui avoir désobéi, il décida de les séparer à tout jamais. Il rendit à sa fille son apparence originelle, l’obligeant ainsi à retourner vivre sous les eaux. Puis, dans un souffle terrible, il pulvérisa Marin qui devenu courant d’air, s’envolant en sifflant vers le soleil levant, jusqu’à l’autre bout de la mer Méditerranée.

Le Roi des Eaux plongea ensuite un de ses bras dans le gouffre qui avait servi de prison à sa fille, dans lequel il noya le taureau et son maître, responsable de ce drame. Cet endroit aujourd’hui connu sous l’appellation du « Trou du Toro », devint la source principale du fleuve auquel sa cadette a donné son nom. Puis, le souverain aquatique prit la direction de l’océan, où il établit son palais dans l’estuaire de la Gironde, site stratégique pour régner sur son domaine aquatique d’eau salée du Golfe de Gascogne tout en surveillant les eaux douces de ses deux filles.



L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais c’était mal connaitre le caractère obstiné de Marin, et la sincérité des sentiments qu’il portait à sa belle. Il ne put se résigner à l’abandonner ainsi et, pendant des années, il chercha le moyen de la retrouver, jusqu’au jour où il découvrit un étroit passage, entre Corbières et Montagne Noire. Prenant son élan sur toute la surface de la mer, il vint s’engouffrer avec une rare violence dans l’interstice montagneux. Il parcourut le pays, remontant les méandres du fleuve, suivant chacun de ses affluents, à la recherche de sa belle. Scrutant chaque recoin de l’eau, l’ardeur du souffle de Marin ne se calma que lorsqu’il l’eut retrouvée. Et depuis ce jour-là, il ne rate pas une occasion de venir la retrouver, en cachette de son père. La croyance populaire affirme que, de ses secrètes rencontres, sont nés les hommes et les femmes de Gascogne, dont on dit qu’ils ont hérité du caractère têtu de leur père et du désir d’indépendance de leur mère. C’est aussi pour cela qu’ils sont si sensibles au passage du vent, dont les sentiments amoureux chargent l’atmosphère d’une électricité perceptible par ses descendants.



C’est en traversant les montagnes que Marin a gagné son nouveau nom, celui par lequel tout le monde le connait aujourd’hui en Gascogne : Il est l’Autan, ce qui signifie « Vent de Haute-Mer ». Et s’il ne souffle jamais au-delà d’une certaine limite géographique, c’est pour ne pas s’approcher de trop près du palais du Roi des Eaux.

La plupart du temps, ce dernier, trop occupé aux affaires de son royaume, ne se rend pas compte de ces rencontres secrètes. Et l’Autan, bénéficiant d’un ciel clair, peut plonger son regard dans les profondeurs de la Garonne, pour y retrouver sa belle. On dit alors qu’il est l’Autan Blanc.

Mais, quand le roi des Eaux s’en rend compte, il rassemble ses nuages noirs sur le Golfe de Gascogne assombrissant le ciel, ce qui empêche l’Autan de trouver sa belle. C’est pour cela qu’il se met à pleurer, parfois même à gronder, pour vider son chagrin. On dit alors qu’il est l’Autan Noir.

Myriam