Destination : 137 , Patchworks story


Insomnies Ordinaires

20h45 - Maélys, 4 ans.

Je suis toute seule dans mon lit, c’est le soir et je regarde fixement la petite veilleuse accrochée au plafond, qui me donne un tout petit peu de lumière. Papa et maman sont en bas, au salon, devant la TV. Aaah ! C’est quoi ce bruit dans le grenier, juste au-dessus de ma tête ? Je me cache sous les draps, en serrant très fort mon doudou contre moi, et j’enfonce un peu plus mon pouce dans ma bouche… maman dit que ce ne sont que des souris, mais si cette fois c’était un vrai méchant ? Et ce cri dehors ? C’est un hibou ou une sorcière ? Mamaaaaaaaaaaaaaaan !!!



21h30 - Marina, 9 ans.

Pourquoi ils font que se disputer papa et maman ? J’en ai assez d’entendre leurs cris, la grosse voix de papa et les larmes de maman… Ils s’aiment plus ou quoi ? Ils vont faire comme les parents de Quentin, et ils vont finir par divorcer et après, il faudra que je choisisse entre eux pour dire avec qui je veux habiter… mais je ne veux pas choisir, moi ! Ce que je veux, c’est qu’on reste tous ensemble, et que tout redevienne comme avant, quand papa rentrait tôt du travail pour jouer avec moi et que maman riait en nous regardant faire les fous…



22h30 – Marie-Lou, 13 ans.

C’est quoi ce mal au ventre qui me réveille ? J’ai beau me tourner, d’un côté, de l’autre, ça ne passe pas. J’ai peut-être mangé quelque-chose qui n’était pas bon ? Voyons… non, je ne vois pas ! En plus, pour une fois, je ne me suis pas goinfrée de bonbons et de gâteaux avec les copines… Alors qu’est-ce que c’est ? Une gastro ? Mais j’ai pas envie de vomir, ni d’aller aux toilettes non plus… Remarque, peut-être que ça va venir ? Ouh là là ! Mais qu’est ce que j’ai mal, j’ai jamais eu mal comme ça ! Et qu’est-ce ce que c’est maintenant, qui coule entre mes jambes ? Oh pétard ! J’ai compris… Maman ?



23h15 - Manon, 17 ans.

Plus que quelques heures avant la première épreuve du bac : philo. Voilà des jours que je révise, que je lis et relis mes cours, mes livres, mes notes, mes annales. Normalement, c’est bon : je connais tout le programme. Enfin presque. Parce-que j’ai fait l’impasse sur le chapitre sur le Bonheur, ça fait deux ans qu’il tombe, ils ne vont pas nous le resservir quand même ! Mais maintenant, j’ai comme un doute… C’est qu’ils en sont bien capables, après tout ! Je pourrais bien relire le cours une dernière fois … allez, je me lève !



23h55 - Maéva, 21 ans.

Je me sens tout drôle… Je suis couchée depuis presqu’une heure mais impossible de dormir ! J’arrête pas de penser à ce qu’il s’est passé tout à l’heure, quand Eliott m’a ramenée à la maison. J’aurais jamais cru qu’il pouvait s’intéresser à moi : il est tellement beau et craquant, avec son accent anglais ! Pourtant, c’est ce qu’il m’a dit, juste avant de m’embrasser… Et s’il s’était moqué de moi ? Je saurai demain, il m’a donné rendez-vous après les cours, à l’entrée de la fac. Mais en attendant, impossible de fermer l’œil ! Allez, je réveille Lola : il faut absolument que je lui raconte…



00h25 - Magali, 26 ans.

C’est incroyable, c’est tellement beau et angoissant à la fois. Me dire que demain, à la même heure, j’aurai changé de nom. Je ne serai plus « Mademoiselle », mais « Madame ». Je n’arrive pas à croire que je vais me marier, et pourtant c’est bien vrai, et c’est pour toujours ! Mais si ça ne dure pas toute la vie ? Si je me trompe, si je le trompe, si il me trompe ? Peut-on jamais être sûr de l’autre et de ses sentiments ? D’ailleurs, où est-il, là, pour sa dernière nuit de « célibataire » ? Il est censé dormir chez se parents mais … Bon, allez, je lui téléphone !!!



01h35 - Marianne, 31 ans.

Ce n’est pas possible d’avoir si mal … j’ai l’impression que mon corps ne m’appartient plus tellement j’ai mal… Et puis pourquoi le battement sonore si rassurant ralentit-il soudain ? Mon Dieu, mon bébé, il se passe quelque chose ! Où est la sage-femme ? Enfin, elle arrive mais repart aussi vite. Elle revient accompagnée de l’obstétricien qui m’annonce que nous partons en urgence au bloc pour une césarienne. Je suis pétrifiée, je les laisse m’emmener, j’ai à peine le temps d’embrasser mon mari et de l’entendre me dire qu’il m’aime…



02h15 - Madeline, 35 ans.

J’aime pas quand il est malade, il est si petit encore ! A peine 3 ans… J’ai tellement peur qu’il lui arrive quelque chose, mon Dieu, rien que d’y penser j’en suis malade ! Laurent dit que je suis trop anxieuse, que je le couve trop… mais j’y peux rien, moi ! C’est comme ça depuis sa naissance, depuis que la sage-femme a posé son petit corps chaud et humide sur mon ventre : à cet instant, j’ai su que ferai tout pour le protéger… Mais là, contre la fièvre, je me sens tellement impuissante ! Alors je reste près de lui, j’écoute sa respiration pour être sure que tout va bien…



02h45 - Mathilda, 42 ans.

Ca y est, je l’entends garer la voiture ! Je veux bien comprendre qu’ils sont en ce moment sur un dossier sensible, et qu’ils ont demain une réunion hyper importante (ça c’est vrai, sa secrétaire me l’a confirmé), mais j’ai du mal à croire qu’il travaille aussi tard ! Surtout que depuis quelques mois, cela arrive de plus en plus souvent… Et puis, je vois bien comment il regarde les autres femmes dans la rue, alors que moi… il y a bien longtemps qu’il ne me regarde plus comme cela ! Il a beau m’affirmer le contraire, je ne suis pas dupe… Le voilà ! Je vais faire semblant de dormir…



03h30 - Manuella, 46 ans.

Où est-il ? Il est maintenant plus de trois heures et il n’est toujours pas là. J’aurais dû y aller, plutôt que de laisser les parents de son copain le ramener. Après tout, je les connais, ces gens-là ? C’est pas parce-que nos enfants sont amis depuis la maternelle que je suis tranquille à 200% ! Ils peuvent très bien s’endormir en conduisant, ou croiser sur la route un de ces tarés complètement saouls ou même drogués qui roulent à fond la caisse, surtout en pleine nuit … Mais pourquoi j’ai accepté qu’il aille à cette soirée !!! 16 ans, c’est un peu jeune après-tout… Si j’appelais les pompiers ???



4h10 - Maryline, 51 ans.

Je n’arrive pas à croire que j’ai eu enfin le courage de partir ! Après des années d’indifférence que j’ai supportées d’abord par amour, puis pour les enfants, enfin par habitude… Mais j’ai réussi à me décider, à dire « stop » une fois pour toutes ! Et voilà… Hier j’ai fait ma valise et j’ai quitté la maison, avant qu’il ne rentre du travail. J’ai laissé une lettre : s’il comprend tant, mieux ; sinon, tant pis ! Maintenant je veux profiter du temps qui reste pour me faire plaisir. Je veux décider par moi-même de ce que j’ai envie de faire, ou pas… Dieu, que cette liberté est grisante !



04h20 - Maryse, 55 ans.

Voilà ! Impossible de dormir ! Remarque, cela n’a rien d’étonnant, après deux jours complets d’examens ! Maintenant, il ne me reste plus qu’à attendre les résultats. Evidemment, je me doute de ce que cela va donner. Ma copine Sylvie a eu la même chose il y a trois ans. Bien sur, le médecin m’a dit de ne pas trop y penser avant d’être sure, mais il m’a aussi conseillé de me préparer à cette éventualité. D’ailleurs, il a déjà pris rendez-vous avec le psychologue, « juste au cas où, parce-que son agenda est archi-plein… ». Ben voyons !



05h25 - Marie, 59 ans.

Le jour va bientôt se lever. La nuit n’a pas été vraiment reposante, après la journée éprouvante d’hier. C’est bizarre de me retrouver dans cette maison où je suis née, où j’ai passé toute mon enfance. Que va devenir maman, maintenant que papa n’est plus là ? Heureusement, Lucie reste avec elle quelques jours encore. Le temps qu’elle s’habitue… Et moi, est-ce que je pourrais un jour m’habituer ? Vais-je arriver à vivre sans son ombre protectrice, tellement aimante que je la sentais encore, même en vivant à plus de cent kilomètres ?



6h35 - Marthe, 63 ans.

Ça y est ! Le réveil sonne enfin, pour la dernière fois : je crois que j’ai attendu ce moment toute la nuit ! Aujourd’hui, c’est mon dernier jour de travail, dans ce bureau ou je me rends tous les matins depuis quarante ans. C’est à la fois excitant et angoissant… Comment vais-je occuper mes journées ? Certains m’ont dit que je ferai peut-être une petite dépression… j’ai du mal à y croire, il y a eu tellement de fois où je me suis dit : « je le ferai quand je serai à la retraite… ». Tiens, demain, je ferai une liste ! En attendant, faut quand même que je me lève pour ne pas être en retard !



7h10 - Madeleine, 71 ans.

Evidemment, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Il faut dire que ce canapé, n’est vraiment pas confortable. Je me demande comment font les filles pour dormir dessus quand elles viennent : faut vraiment être jeune ! Mais là, il était hors de question que je dorme dans la chambre, dans notre lit où il ne sera jamais plus avec moi, où je ne me réveillerai plus jamais en entendant sa respiration, lourde mais rassurante. Je ne m’étais jamais demandé lequel de nous deux partirai en premier… maintenant je le sais ! Pour nous non plus, les statistiques ne s’étaient pas trompées…



8h40 - Marguerite, 78 ans.

C’est dur d’ouvrir les yeux. Pourtant, il le faut. Ils sont venus me voir, et moi aussi, je veux les voir. Encore une fois, une dernière fois. Voir Raymond et me rappeler le petit garçon timide qui se cachait dans mes jupes… voir Agnès et Luce, qui ont toujours refusé de passer leurs vacances ailleurs que chez nous… voir Lise et Romain, leurs grands yeux innocents et leurs joues rebondies… les regarder, leur dire encore une fois combien je les aime. Et m’accrocher à l’idée que je vais enfin retrouver Léonard et son sourire, le même qu’il y a soixante ans…

Myriam