Destination : 210 , Rentrissime


Rentrée

1er SEPTEMBRE

Tout avait changé dans la nuit. Il avait suffi de quelques heures pour que l’été bascule définitivement et irrémédiablement vers l’automne. La nonchalance, la légèreté, la langueur estivale s’était évaporée sous la lune. Une douce nostalgie, imperceptiblement, colorait les images de vacances, désormais transformées en souvenirs. Le bruit des vagues atlantiques, le crissement du sable des dunes sous les pieds, l’odeur iodée et la saveur salée des embruns, s’effaçaient doucement de nos mémoires. Restaient les photos, que nous contemplerions longuement tout au long de l’hiver, pour raviver les parfums de l’été.

La matinée avait semblé plus fraîche et plus sombre que les précédentes, quand le réveil implacable avait sonné sa litanie, un peu plus tôt qu’hier. Le soleil lui aussi approchait de son équinoxe et chaque jour grignotait quelques minutes de lumière, de plus en plus précieuses. Le ciel était un peu moins bleu, les nuages un peu plus gris. Bientôt les brumes se poseraient sur nous, nous enveloppant de leurs voiles humides et impénétrables. Les nuits gagnaient en longueur et se rafraichissaient d’autant. Nous avions déjà sorti les couvertures légères et, bientôt, nous commencerions à lorgner vers les couettes et les vêtements plus chauds. L’armoire se viderait des shorts, jupes, robes, sandales et autres tenues légères pour laisser la place aux pantalons, pulls, chaussettes et bottes fourrées. Nos corps, eux aussi, allaient retrouver leur prison.

La coupe des fruits, sur la table du petit-déjeuner, avait changé de couleur. Les abricots, pêches et nectarines étaient remplacées par des grappes de raisin, des poires et des prunes. Pendant quelques jours encore, nous nous acharnerions à mettre l’été en bocal, pour en retrouver la saveur plus tard, au cours des longs mois à venir. Figues, mures et coings pour les gelées et confitures ; tomates, courgettes et poivrons pour les sauces. Nos instincts préhistoriques de chasseurs-cueilleurs se réveillaient et nous amèneraient bientôt à suivre les sentiers humides des campagnes et forêts gasconnes pour faire provision de noix, noisettes, châtaignes et champignons parfumés.

En sortant de la maison, nous avions perçu le bruit lointain des machines à vendanger, des fours à sécher les pruneaux et des moissonneuses. Les couleurs des champs annonçaient déjà celles de l’automne : l’or des tournesols, le rouge des coquelicots, le bleu des mauves avaient disparus. Restaient les bruns, les ocres, les oranges qui se répandraient partout alentours avant de disparaitre, eux aussi. Les champs exhaleraient bientôt l’odeur enivrante de la terre labourée, préparée pour son long sommeil hivernal. Dans les arbres, les oiseaux chantaient mais leur chant semblait différent : moins gai, moins enjoué, plus sérieux. Pour eux aussi, la saison froide s’annonçait.

Les enfants reprenaient le chemin de l’école, les grands celui du travail. La maison retrouvait son calme, après les cris et chahuts qui l’avaient agitée ces deux derniers mois, quand la tribu des cousins s’échappait de son antre, telle une volée de moineaux ébouriffés. Les cartables remplaçaient dans l’entrée les sacs de piscine ; les fins d’après-midi seraient désormais occupées par les devoirs et non plus par les jeux de balançoires et les parties de cache-cache. Et les soirées, de plus en plus longues, se feraient dans quelques semaines auprès de l’âtre, à grandes lampées de soupe chaude.

Tout avait changé dans la nuit. Les vacances étaient finies, c’était la rentrée…

Myriam