Destination : 286 , L'oiseau et l'ombre


l'Oisombre

C’était un drôle d’oiseau, vraiment. Un modèle unique, original ; à la fois le premier et le dernier de son espèce. D’où venait-il ? Difficile de le savoir… Il était tombé de son nid, un beau matin, juste devant ma porte, dans l’ombre qu’un arbre offrait généreusement à mes journées de juillet. L’oiseau n’était d’ailleurs lui aussi que l’ombre de lui-même et, n’eut été son cri étrange, je lui serai probablement passé à côté sans même m’en apercevoir.

Notre première rencontre fut un véritable échec : tandis que je me baissais pour le prendre entre mes mains, il se rebiffa et me vola littéralement dans les plumes, à grand coup de bec et de griffes. Je me contentais donc, pour commencer, de lui apporter un petit bol rempli d’eau et le laissait tranquille. A ma grande surprise, il était encore là le soir, et encore le jour suivant, et encore celui d’après. Peu à peu, il me laissa l’approcher. Au bout d’une semaine, je pus l’attraper et l’examiner à loisir.

J’avais cru qu’il était blessé ; son corps ne portait aucune trace de coups ni de blessures. J’avais pensé qu’il n’était qu’un oisillon ; sa morphologie ne laissait aucun doute. J’avais envisagé qu’il soit malade ; son appétit et sa vivacité me convainquirent du contraire.

Son aspect cependant était des plus étonnant : ses ailes, énormes, grotesques, pendaient de chaque côté de son corps maigrichon, comme un poids trop lourd à porter. Impossible pour lui de prendre son envol, impossible pour lui de l’envisager autrement que dans son imagination. Il n’avait jamais, et ne connaitrait jamais l’ivresse des cieux. Son plumage était tout aussi étrange : de fines plumes d’un gris presque transparent, recouvraient intégralement son corps et lui donnait un aspect duveteux.

Il s’installa dans ma maison avec une aisance qui me stupéfia : c’est simple, on aurait pu croire qu’il était né ici. Je remarquai alors qu’il suivait une habitude des plus étranges : l’oiseau avait une aversion profonde pour la lumière du soleil. Etait-ce un vampire ? L’hypothèse était amusante.

Sa présence me divertit quelque temps puis je finis par ne plus y faire attention. C’est alors que son attitude se révéla commença à changer, d’abord lentement, pernicieusement puis, radicalement. L’oiseau devint autoritaire, tyrannique et m’imposa ses volontés. Son agressivité à mon égard allait crescendo et, bientôt, j’acceptais de ne plus ouvrir mes volets, de ne plus faire aucun bruit, de ne plus sortir de chez moi. Ainsi, je réussis à canaliser sa violence et nous pûmes vivre en paix, dans la solitude, le silence et l’obscurité. Pour être tout à fait honnête, j’étais terrifié par ce volatile qui avait envahi ma vie et dont la voracité engloutissait mes envies, mes désirs, mes émotions. Pour ne plus le laisser me faire souffrir, je m’étais anesthésié de moi-même.

Mais ce statu-quo ne lui suffit bientôt plus et il m’empêcha de manger, de boire, de dormir. Mes jours et mes nuits se succédaient comme un cauchemar sans fin et sans issue possible. L’un de nous allait forcément y laisser des plumes… Je compris vite que ce serait moi. Je n’avais plus de force, plus envie de lutter pour me sauver de ses griffes. Je décidais, dans un dernier sursaut de lucidité, d’employer les grands moyens : une allumette malencontreusement tombée sur le canapé imbibé d’alcool serait ma clef de sortie.

***

Quand les pompiers arrivèrent à la maison, j’étais déjà à moitié inconscient, asphyxié par les vapeurs de fumée. L’oiseau, pour une fois silencieux, s’était réfugié à l’autre bout de l’appartement. Malgré mon état, je fus saisi d’une peur panique en voyant les soldats du feu ouvrir tous les volets : la fureur de mon bourreau serait implacable. J’essayais de les prévenir. C’est alors qu’un jeune homme se pencha vers moi et me répondit, d’un air surpris :

- Un oiseau ? Quel oiseau ? Il n’y a pas d’oiseau dans votre maison monsieur…

Myriam